l’aurore

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des portes du matin l'amante de céphale,
ses roses épandait dans le milieu des airs,
et jetait sur les cieux nouvellement ouverts
ces traits d'or et d'azur qu'en naissant elle étale

douceur d’un brasier au petit matin, lorsque les fougères drapées de givre fouettent les chevilles à chaque pas, le froid adornant la terre de sa chaste pâleur. noués par la fraîcheur de l’aube, les doigts se crispent sur le manche d’une cloche ; à sa robe de fonte le tintement clair d’une seule note en échos semble saluer les prémices du jour. lenteur d’un cortège solitaire qui trouble à peine les bruits alentours. le ramage des oiseaux s’unissant à cette litanie, les bois traversés se recueillent de leur lisière à l’étang le plus proche.

sonne, et sonne la révérence ! l’eau dessine à sa surface les longues lignes noires d’une mèche aux prises avec le vent et, évanoui par les ondes, un minois tout entier s’y reflète un instant.

elle s’anime sans hâte, de gestes larges et lents, pour danser avec le carillon ses hommages au grand apollon – accueil religieux du bien-aimé printemps. sibylle a toujours préféré à la ville le silence des forêts, où ricochent les rayons mordorés sur le miroir de l’étang.

ce n’est qu’après une longue oraison qu’elle approche de son arbre favori, là où, quelques mètres au-dessus du sol, résistent les débris de ce qui fut une cabane autrefois. la sorcière s’élance pieds nus de branche en branche jusqu’aux premières planches, se hisse en souplesse jusqu’à percevoir enfin une silhouette déjà installée. la surprise lui arrache un sursaut, exclamation ravalée pour ne pas crever la magie du rituel achevé. les sourcils se froncent aussitôt pour détailler l’importun qui a osé grimper.

« ...sohel ? » amère réalisation de ces traits familiers ! « qu’est-ce… qu’est-ce que tu fais là ? »

esquisse maladroite des commissures, pourtant le regard ne ment pas.

qu’est-ce que

tu fais

chez moi ?

l’aurore

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comme si c'était hier;
découverte d'une maison enchantée !
des nuits durant, sohel y avait veillé
caressant les fondations de bois
murmurant des chants d'amour
elle y avait attendu le retour
d'une sorcière ou d'une fée
des nuits oui, et aussi des jours
rêvant du poète y trouvant refuge
imaginant les traits d'une âme jumelle
ce; jusqu'à ce que l'attente calcifuge.

se résoudre à en faire un chez soi; empathie pour la solitude qu'elle ressentait en touchant le bois (toi aussi bel ami on t'a laissé, mais moi ! moi je vais t'aimer). l'inopinée avait déposé ici et là des plantes merveilleuses pour que la nature inonde jusqu'à l'intérieur: elle aimait croire partager ainsi un secret avec le mystère désincarné... une énigme dont elle n'avait jamais vu les traits ! quelques coussins s'étaient eux aussi accommodés des lieux. c'est sohel qui en avait cousu difficilement les bordures, ne voulant amener en cet endroit sacré que le fruit de quelques labeurs ou des préciosités ayant pour seul mérite de la combler. aujourd'hui l'enfant sauvage avait grimpé avec un sac plein rempli d'offrandes chères à son cœur (gâteaux de miel, bougies enchantées, fruits de saison et sa tête pleine de chansons). pour l'occasion, elle avait ressorti les bracelets colorés que la gouvernante avait offert dans un élan tendre... tous trônaient aléatoirement sur ses poignets, subtilisant même ceux que son frère osait délaisser.

« ...sohel ? »

de son mouchoir, les miettes s'échappent. cœur rebondit de tous les côtés alors que les yeux curieux se tournent vers la voix. il y a quelqu'un chez moi ? chevelure splendide camoufle un peu le joli minois... sibylle s'incarne dans cette figure magique, apparition quasi fantasmagorique. parle fantôme ! j'aime les sentiments dans ta voix.

« qu’est-ce… qu’est-ce que tu fais là ? »

la cacophonie émotionnelle de sibylle brise l'harmonie; la situation dépasse sohel sans pour autant lui déplaire. les lèvres dévoilent un sourire vrai. l'hôte invitée hésite même à tendre sa main à l'invitée hôte - lit dans ses yeux qu'il s'agirait peut-être là d'un geste déplacé.

« c'était donc toi mon mystère ?
tu es plus belle que je ne le croyais ! »

rire léger dans un calme qu'elle tente de retrouver... chaos agréable bourdonne dans ses tympans. mouvements rapides et là voilà de côté, laissant tout l'espace nécessaire pour que la sorcière puisse entrer.

« eh bien... je grignote. tu veux un morceau ?
je l'ai raté ce matin.
trop sucré. »

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elle se hisse en douceur, ses gestes plus lents que de coutume, pour fouler les planches de pin où flotte une délicieuse odeur – ça vit, entre les quatre murs à peine droits. ça vit comme ça vivait autrefois.

sohel a cette étrange façon de vous observer ; le sourire franc, les prunelles aiguisées. fenêtres ouvertes sur une âme vieille de quelques siècles que sibylle peine encore à saisir : ses yeux chuchotent des mots que sa bouche ne saurait traduire.

« c'était donc toi mon mystère ? tu es plus belle que je ne le croyais ! »

et elle devine
la découverte enchantée,
les fantasmes, les heures écoulées,
les souvenirs qu’elle aura fini par créer
lorsque de ce paradis sibylle était privée.

coup au cœur !
de ce tableau bien trop joli, de ces coussins colorés, de ce parfum de miel, qui rendent au bon vieux tas de bois un souffle de vie. à croire que sohel arpente les sillons de la sorcière pour ressusciter le moindre fragment du passé – pour la punir, croirait-elle, d’avoir tout délaissé.

ses tripes se tordent d’une insidieuse aigreur face à ce charme désolant, incapable de se défaire de l’impression qu’on lui soustrait inlassablement sa place pour la confier à plus méritant. plus gentil, plus doué, plus loyal peut-être, ou plus apprécié. qu’importe la raison ! sohel s’approprie tout ce qui faisait sa joie avant de quitter sa maison.

« merci. » bredouille-t-elle alors que nemesis lui offre un gâteau, mais il s’effrite entre ses doigts sans qu’elle touche vraiment au morceau.

« tu t’es bien installée… c’est joli maintenant. tu es là depuis longtemps ? »

le sourire est maladroit, l’esprit encore ailleurs. sohel est à vomir de générosité candide et d’infernale simplicité. paupières se closent sur un regain de rancœur. est-ce que c’est si mal
– de la détester ?

« je pensais que mes sorts protégeaient encore la cabane. j’ai jamais vu personne y monter sans avoir été invité. » le regard se fait curieux, si ce n’est méfiant, face à celle qui semble braver tous les sceaux pour s’immiscer dans son intimité.

l’aurore

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« merci.»

dans la tanière vivifiée, sohel se revoit enfant. à verser dans les tasses de maman un breuvage par ses doigts boudinés concocté ; déposant d'une délicatesse empreinte aux plus grands une part de plastique dans l'assiette offerte à l'imaginaire. l'image que le destin lui offre aujourd'hui est tellement plus claire ! faite de magie et de chairs.

«  tu t’es bien installée… c’est joli maintenant.
tu es là depuis longtemps ?  »

la nuit des temps ; à croire que l'hymne enchanté avait commencé dans un rêve si lointain que le matin vint à l'effacer d'un revers de main (éveil réalité). à ton tour d'attendre mes secrets, qu'elle songe d'un sourire polysémique. alors, la drôle de gamine mastique - fait la fête à ce gâteau pas si mauvais. sohel admire cette mine jolie qui tente de se faire joviale (fausse impression?)

« mmh, un sacré bout de temps ? »

les instants précieux sont multiples et chéris ; ça lui suffit. l'assurance d'avoir envers et contre tout pu s'y faire un nid quitte à le rendre éphémère - la cabane a su faire partie de sa vie (inverse immuable aussi). elle est prête à lui céder l'endroit ;


«  je pensais que mes sorts protégeaient encore la cabane. j’ai jamais vu personne y monter sans avoir été invité.   »

l'expression se fait maligne ; dénuée toutefois de mauvais attention. sa main s'étend comme un cœur aux abois, caresse encore le bois qui les entoure. c'est fou, sa mémoire lui joue des tours ! elle croirait pouvoir l'entendre grimper cet arbre, elle voit les mains précautionneuses placer les planches pour faire sourire un bambin (est-ce son rire qu'elle entend au loin?).

« alors, c'est qu'elle ne devait pas se sentir en danger ta cabane. promis juré, je ne lui ai pas fait de mal. »

le regard se plonge encore dans les iris sombres (à croire qu'on s'y noie, dans ce noir là).

« ça ne te plaît pas ? »

le menton audacieux pointe le met trituré ; quoi d'autre pourrait bien être mentionné ?

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la jalousie est une guerre qui se perd en deux temps — lorsqu’on envie, et lorsqu’on devient méchant.

sohel respire la bonté (pas étonnant que l’arbre l’ait laissée grimper) et son minois désarçonne la moindre tentative de froideur qui pourrait poindre au-delà de son cœur. que pourrait-on bien redire à ses drôles de manières ? que les effluves sont trop sucrées ? les coussins trop épais ? sibylle se sentirait presque coupable d’avoir délaissé la maison de bois, et sohel… sohel a probablement bien fait de lui tenir compagnie alors qu’elle-même ne le pouvait pas.

irascible pourtant, elle ne parvient à sourire sans efforts : sa conscience lui susurre d’essayer un peu plus et ses tripes de se méfier de l’eau qui dort. l’intruse semble trop lisse pour le mal-être qui l’étouffe chaque fois que se confrontent leurs regards. si la sorcière n’avait tant appris à croire ses instincts – alors peut-être, peut-être ! aurait-elle accordé une chance à leur amitié.

sa haine s’est enracinée

« hein ? ah. »

aux creux de ses mains le gâteau s’émiette. revers de main sur un pan de sa jupe qu’elle époussette, l’autre porte le mets à sa bouche ; ça fond sur le palais comme la neige au soleil — grognement se dérobe et sa tête dodeline dans un rire satisfait.

« pas mauvais… c’est quoi ? »

et puis ce soupir un rien exaspéré qui lui échappe, presque comme un compliment lancé de bon cœur à une amie — il n’en est pas grand-chose, en vérité. « t’en as encore beaucoup des talents cachés ? bientôt tu feras de la concurrence à la boulangerie d’elijah. » ah. la voilà, la réalité ! sibylle n’a jamais vraiment daigné creuser. « tu fais quoi, d’ailleurs ? je croyais que t’étais étudiante... t’as pas des partiels à bosser ? »

l’aurore

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« pas mauvais… c’est quoi ? »

satisfaite d'avoir pu l'épier grignoter le tribu, elle retient l'impulsion de quérir au coin de la bouche de la sorcière quelques miettes séditieuses.

« un gâteau au miel... j'ai tenté quelque-chose pour ostara. comme nana me l'avait appris. »

l'invitation est claire au jeu des discussions: demande moi ! questionne ce prénom que voilà ! échange fragile d'une rencontre maladroite, l'espoir est ridicule... (funambule) au détour d'une phrase fantasmer la naissance d'un 'on ne sait quoi' capable de créer un sourire un peu plus vrai pour une prochaine fois ;;


« t’en as encore beaucoup des talents cachés ? bientôt tu feras de la concurrence à la boulangerie d’elijah. »

sonate subtile d'un rire délicat -
c'était dans une autre vie,
bien plus lointaine qu'hier !
que sohel avait de la farine plein les doigts.

« tu fais quoi, d’ailleurs ? je croyais que t’étais étudiante. t’as pas des partiels à bosser ? »

« hum... disons que je suis plus du genre à laisser faire le hasard ! j'suis pas une grande bosseuse quoi. ça me laisse le temps de errer comme ça ! et de chanter... autrement je suis en art du spectacle. toi, depuis quand tu sais que tu as envie de faire ça ? »

les yeux penchent vers le bracelet au poignet de la belle ; élégance signature d'une boutique où les deux se sont déjà souvent croisées. l'admiration est sans faille pour ses créations enchantées !